Souveraineté Digitale : Le Tourisme Européen Sous Pression

 dans études

Ne nous voilons pas la face : les places sont en train de se prendre dans le Digital et l’Europe n’est pas en pole position. Quid des acteurs du Tourisme ?

La base du commerce c’est la profondeur de l’offre. C’est cette dernière qui structure la demande dans le Tourisme international comme ailleurs. Il faut comprendre que plus l’offre est large, plus elle est disponible, plus elle est qualifiée et communiquée, plus elle trouve son public. La base de la communication, c’est l’audience, la capacité de l’impliquer, de la fidéliser. Mais ne confondons pas les deux métiers qui sont très différents et ne demandent ni les mêmes talents, ni les mêmes ressources.

Agréger l’offre, la dynamiser sur une gamme de produits et de services, c’est l’ADN des plateformes « verticales ». Or, celles qui réussissent comme Expedia, Booking.com, Airbnb, Uber, Blablacar, Ctrip, Didi…, n’ont vraiment décollé que grâce à la maîtrise de l’offre et de son prix. Dans le Digital, développer l’audience et l’impliquer ne vient que par l’augmentation des usages, et dans ce domaine, les championnes sont les plateformes « horizontales ». Les citer ne relève que de l’évidence : Google, Facebook, Weixin, Amazon, Baidu, Alibaba… Leur objectif est de capter les utilisateurs et de les garder le plus longtemps possible ou les faire revenir fréquemment.

N’avons-nous pas constaté que les plateformes « verticales » sont moins innovantes en technologie que les plateformes « horizontales » ? Qu’elles investissent plus en marketing qu’en technologie ? Qu’elles ont moins de traction et de capacité d’investissement et qu’en réalité elles ont besoin des plateformes « horizontales » tout en étant à leur merci ? Remarquons qu’aucune plateforme « verticale » n’est dans le leadership mondial du digital. Elles ne sont présentes dans aucun acronyme de ces leaderships. Ni GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), ni BAT (Baidu, Alibaba, Tencent). Les modèles économiques diffèrent également.  Les « verticales » n’ont en fait rien inventé, elles prennent des commissions ou des fees transactionnels. Elles ont réintermédié les intermédiaires du vieux monde, celui d’avant le Digital.

La diversification ne fait pas l’horizontalisation 

Pour les plus anciens d’entre nous, rappelons-nous des débats homériques entre producteurs et hôteliers ou entre les compagnies aériennes et les distributeurs… Sous le soleil du Digital, la répartition de la valeur reste l’enjeu principal des intermédiaires, nouveaux comme anciens. Les « horizontales » ont des ressources élargies à la monétisation de l’audience, autrement dit à la publicité. Elles sont presque inépuisables.

Les « verticales », elles, comprennent bien que la monétisation de l’audience leur est interdite ou limité en dehors des recettes transactionnelles. Par conséquent, elles essaient de devenir plus « horizontales » : Uber fait du portage de repas, Airbnb propose des circuits et des visites, Expedia a racheté HomeAway, Booking fait de la location d’appartement…

Accumuler et agréger des contenus et les diffuser constitue l’ADN des plateformes « verticales »

Diffuser des contenus, c’est un métier, et en créer en est un autre. Le Digital n’a rien changé à cette réalité sinon qu’il est capable d’en agréger plus pour un coût moins élevé. C’est un peu comme si un producteur de film essayait de créer une chaîne de télévision. Or, c’est plutôt le contraire qui a lieu. Celui qui détient l’audience essaie de produire les contenus… Avec plus ou moins de bonheur, d’ailleurs. Le contraire est plus aléatoire à moins de se contenter de recettes marginales ou uniquement d’élargir sa gamme de produits.

En Europe, nous avons vus des plateformes « verticales » émerger puis prospérer. Ce sont nos fameuses licornes. Elles ont mis leur énergie à réintermédier autrement et plus efficacement des business existants ou inexploités. D’autres se sont tout simplement lancées dans le CtoC en faisant concurrence à des activités historiques. Mais elles ont construit leur audience autour des produits distribués, et par conséquent, des transactions. Par ailleurs, la connaissance client de ces marques se résume à des données liées aux produits.

Les GAFA et les BAT sont des plateformes non spécialisées qui ont bâti une audience d’usages sans limite. On voit bien que les plateformes « horizontales » sont les interfaces génériques entre les marques et les consommateurs. Leur stratégie est donc celle d’un média. Les plateformes « verticales » sont en réalité des marques qui ont besoin de media pour se commercialiser.

Jusque-là pas de problème, me diriez-vous… Il y en a pourtant un et il est de taille.

Sans plateforme « horizontale », l’Europe se met sous pression et au service des plateformes « horizontales » US et chinoises.

Il n’y a que les Américains et les Chinois qui ont des plateformes « horizontales » dont les ingrédients sont connus : réseaux sociaux, chat, maps, navigation, moteurs de recherche, streaming, big data diversifiées… Nos champions sont plutôt verticaux, transactionnels, mono business, mono datas… même quand ils atteignent la taille enviée d’une Licorne (NLDR : entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars sans pour autant être cotées en Bourse) Pas de problème, me diriez-vous encore. Dans les multiples startups que nous avons en gestation se trouvent les plateformes « horizontales » de demain !

Peut-être. En attendant, le monde digital est dominé par les Américains et les Chinois. Développer puis maîtriser la cartographie nécessite des années de travail. Il faudrait s’y mettre maintenant pour être prêts dans 10 ans. Mais dans 10 ans, les GAFA et les BAT auront avancé et il faudra leur courir après sur d’autres dimensions.

Vous remarquerez d’ailleurs que ni Uber, ni Blablacar ne dispose de leur propre carte et d’un navigateur qui leur sont pourtant indispensables. Ils utilisent comme tout le monde les ressources de Google Maps. Or, Google veut devenir le leader mondial de la voiture sans chauffeur. Que se passera-t-il quand les intérêts des uns et des autres divergeront ?

Nous, Européens, sommes aujourd’hui condamnés à jouer les sous-traitants, même géniaux. Toute notre capacité d’investissement et nos savoir-faire vont sûrement nous permettre d’inventer des briques technologiques, mais de là à disposer de l’ensemble des éléments qui constituent une plateforme « horizontale » et à mener la danse au lieu de l’accompagner, il y a une très grande distance.

Pourtant l’Europe et la France ont besoin de constituer un ou plusieurs champions « horizontaux » pour une raison évidente. Les plateformes « verticales » ne resteront européennes que si elles accèdent à l’audience par des plateformes européennes. Les plateformes « horizontales » sont les fondations de tout l’édifice digital.

Pour la France, il y a plusieurs moyens de regagner le temps perdu. Investir et favoriser l’émergence de nouvelles technologies. Il faut le faire mais le résultat est aléatoire et surtout prendra du temps. Une autre piste consiste à ré-attirer nos propres talents qui sont disséminés aux USA, en Chine ou ailleurs. Des Français géniaux qui ont inventé et développé des solutions digitales, il y en a. Et s’ils avaient plus intérêt à ramener leur business en France, ils nous feraient gagner beaucoup de temps … et d’argent.

Comme dans la fable de la Fontaine, « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » !

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